Pénal de l'urbanisme: la mise en demeure (L. 481-1 du code de l'urbanisme) enfermée dans le délai de prescription de six ans
droit de l'urbanisme
Alexandre CHEVALLIER
6 septembre 2025
4 minutes

Le Conseil d’État, par un avis du 24 juillet 2025 (n° 503768), précise que les pouvoirs de mise en demeure prévus à l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme ne peuvent être exercés au-delà du délai de prescription de l’action publique applicable aux délits, soit six ans à compter de l’achèvement des travaux, sauf actes interruptifs.
L’avis CE, 24 juill. 2025, n° 503768 consacre une lecture rigoureuse de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme : la mise en demeure ne peut être utilisée que dans le périmètre temporel de l’action publique. Le Conseil d’État juge que, parce que l’exercice de ces pouvoirs est subordonné à un procès-verbal d’infraction (L. 480-1) et « indépendamment des poursuites pénales », le législateur doit être « regardé comme ayant exclu » leur mise en œuvre au-delà du délai de prescription de l’action publique. En matière délictuelle, « ce délai est de six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise, c’est-à-dire, en règle générale, de l’achèvement des travaux ».
« … doit être regardé comme ayant exclu que ces pouvoirs puissent être mis en œuvre […] au-delà du délai de prescription de l’action publique. Conformément à l’article 8 du code de procédure pénale […] six années révolues […] de l’achèvement des travaux. »
Cette borne sexennale emporte deux conséquences pratiques majeures. D’une part, dans l’hypothèse de travaux successifs, seuls les travaux non prescrits peuvent être visés par la mise en demeure. D’autre part, la demande de régularisation (permis ou déclaration) doit porter sur l’ensemble de la construction, quitte à ce que les mesures de mise en conformité (y compris démolition) ne frappent que les travaux non prescrits si la régularisation est impossible.
« Dans le cas où des travaux ont été successivement réalisés de façon irrégulière, seuls les travaux à l’égard desquels l’action publique n’est pas prescrite peuvent ainsi donner lieu à la mise en demeure […] la régularisation […] doit […] porter sur l’ensemble de la construction […] les opérations nécessaires […] ne peuvent porter que sur ces travaux. »
Le Conseil d’État organise ensuite l’articulation avec l’article L. 421-9. Lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, l’autorité ne peut en principe refuser une autorisation au seul motif de l’irrégularité initiale, sous réserve notamment du cas où la construction aurait été réalisée sans permis requis. Cette clause de sauvegarde réduit le champ des refus de régularisation opposables aux ouvrages anciens, tout en conservant des garde-fous pour les hypothèses les plus graves.
« […] lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus […] ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale […] sous réserve, notamment, que cette construction n’ait pas été réalisée sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu alors que celui-ci était requis. »
Les conclusions du rapporteur public éclairent l’économie d’ensemble : la mise en demeure n’est pas une sanction, c’est un instrument de police spéciale destiné à obtenir la mise en conformité ou la régularisation. Elles justifient l’alignement temporel sur le délai pénal, sans priver l’administration d’un levier en cas d’urgence : en présence d’un péril grave ou imminent, la police générale reste disponible. D’où un système équilibré : prescription sexennale pour la police spéciale (L. 481-1), mais réactivité intacte en cas de danger.
« En cas de péril grave ou imminent, [l’administration] peut, à tout moment, faire usage de ses pouvoirs de police administrative générale. »
Enfin, les conclusions précisent utilement le périmètre des injonctions lorsque coexistent une construction ancienne et des travaux récents : la mise en demeure se limite aux éléments non prescrits. La régularisation demandée au titre des travaux récents peut s’étendre à l’ensemble de la construction, sous deux réserves : (i) respect de la prescription administrative de dix ans (L. 421-9) — hors exceptions — et (ii) possibilité, si la construction dans son entier ne peut être autorisée, d’autoriser seulement les travaux nécessaires à sa préservation et au respect des normes, à condition qu’il s’agisse d’une construction ancienne contre laquelle aucune action pénale ou civile n’est plus possible. Corrélativement, il ne saurait être ordonné de démolir ou modifier les parties achevées depuis plus de six ans.
« La demande de régularisation pourrait ainsi s’étendre à la construction initiale, même en cas de prescription de l’action […] Mais pas de démolir ou de modifier des parties de la construction achevées depuis plus de six ans. »
À retenir pour la pratique : (1) dater l’achèvement avec soin (en cas d’échelonnement, séquencer par phases) et rechercher d’éventuels actes interruptifs ; (2) cibler les injonctions sur les travaux non prescrits, sans étendre la démolition à l’ouvrage ancien ; (3) instruire une régularisation globale en mobilisant L. 421-9 et ses exceptions ; (4) basculer vers la police générale si un risque l’exige. L’avis sécurise ainsi la chaîne contentieuse en fixant un cadre temporel clair, qui concilie efficacité de la répression des irrégularités d’urbanisme et sécurité juridique des situations anciennes.
Ce que dit l’avis (points-clés)
Condition préalable : un procès-verbal L. 480-1 doit constater l’infraction ; la mise en demeure s’exerce indépendamment des poursuites pénales.
Principe : le législateur « doit être regardé comme ayant exclu » que L. 481-1 soit mis en œuvre au-delà du délai de prescription de l’action publique, soit six ans (délits, art. 8 CPP), à compter de la commission de l’infraction, en règle générale l’achèvement des travaux.
Travaux successifs : seuls les travaux non prescrits peuvent donner lieu à mise en demeure ; la régularisation doit porter sur l’ensemble de la construction.
Si régularisation impossible : les opérations nécessaires (y compris démolitions) ne peuvent porter que sur les travaux non prescrits.
Articulation L. 421-9 : pour apprécier la régularisation, tenir compte de la prescription administrative de dix ans et de ses exceptions (notamment construction réalisée sans permis requis).
Clés de mise en œuvre (praticiens)
- Datation : établir l’achèvement (photos aériennes, PV successifs, factures, attestations) et séquencer les phases en cas de travaux échelonnés.
- Prescription : vérifier les actes interruptifs (poursuites, citations, décisions) et leur portée sur le délai sexennal.
- Ciblage des mesures : limiter mises en demeure/démolitions aux éléments non prescrits ; ne pas étendre aux parties anciennes.
- Régularisation : instruire une demande portant sur l’ensemble de l’ouvrage ; appliquer L. 421-9 (dix ans) et ses exceptions.
- Urgence/péril : recourir à la police générale (péril grave et imminent) si nécessaire, sans attendre.
Focus : articulation L. 481-1 / L. 421-9
1) Si l’ouvrage entier a < 6 ans : la mise en demeure peut viser tous les éléments.
2) Si l’ouvrage a > 6 ans mais des travaux récents : la mise en demeure ne peut viser que les travaux récents. La régularisation demandée peut englober l’ensemble ; si refus, les mesures de conformité ne peuvent porter que sur ces travaux.
3) Si l’ouvrage a > 10 ans : l’irrégularité initiale ne peut en principe fonder un refus (L. 421-9), sauf exceptions (ex. absence totale de permis requis, risques, sites protégés, etc.).
Impacts pratiques
Pour les maires/collectivités - Sécuriser les procédures : dater précisément et documenter les travaux non prescrits. - Anticiper la preuve : croiser PV, constats, imagerie et pièces pour soutenir le point de départ et les interruptions. - Adapter l’injonction : calibrer la mise en demeure (ou la démolition) à la seule part non prescrite.
Pour les propriétaires/prévenus - Contester la datation ou l’absence d’actes interruptifs ; opposer la prescription sexennale. - En cas de travaux partiellement récents, privilégier une régularisation globale, en invoquant L. 421-9 lorsque pertinent.
Références
- CE, avis, 24 juill. 2025, n° 503768 — Police spéciale L. 481-1 : délai sexennal aligné sur l’action pénale ; articulation avec L. 421-9.
- Conclusions du rapporteur public (M. Florian Roussel) — fondements et opportunité du délai sexennal ; portée et exceptions ; rappels sur police générale et doctrine.
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