Droit pénal de l'urbanisme: la preuve de la non prescription revient au parquet
droit de l'urbanisme
Alexandre CHEVALLIER
30 avril 2021
4 minutes
L'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 décembre 2020, n°20-80.596, revient sur la question de la charge de la preuve de la prescription en matière de droit pénal de l'urbanisme.
En matière de droit pénal de l'urbanisme, le prévenu est souvent tenté d'invoquer la prescription de l'action pour justifier de l'extinction des poursuites engagées à son encontre par le ministère public.
Depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, les infractions en matière d'urbanisme, plus précisément en matière de constructions illégales, lesquelles sont constitutives d'un délit, se prescrivent dans un délai de six ans à compter de la finalisation des travaux.
Ici, il a été soutenu par le prévenu que les constructions litigieuses avaient été édifiées il y a de cela 15 ans.
Or, le ministère public verse au débat un procès-verbal d'infraction datant de l'année 2009 démontrant que les travaux n'avaient pas été finalisés à cette date.
En conséquence, la Cour de cassation écarte la prescription en se fondant sur ce procès-verbal.
Cette décision peut étonner en ce qu'elle semble renverser la charge de la preuve et impose au prévenu d'apporter tout élément justifiant que la prescription est acquise.
Et pour cause, c'est au parquet que revient la charge de la preuve de la non-prescription de l’infraction, et ce en application du principe de la présomption d’innocence. Le prévenu est présumé innocent, ce n’est pas à lui d’établir son innocence, mais au ministère public de démontrer sa culpabilité.
Il appartient ainsi à la juridiction saisie, sur la base des éléments rapportés au débat par le ministère public, de s’assurer du moment où le délit a été consommé et de fixer le point de départ du délai de prescription.
Si elle estime que la date du point de départ de la prescription n'est pas certaine, la juridiction doit relaxer le prévenu.
Tel n'a manifestement pas été le cas en l'espèce, la Cour s'étant exclusivement basée sur un procès-verbal de 2009 démontrant qu'à un instant T, les constructions illégales en question n'avaient pas été édifiées, sans que cet élément permette de fixer la date du point de départ de la prescription.
"LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
N° T 20-80.596 F-D
N° 2468 SM12 8 DÉCEMBRE 2020 REJET
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 DÉCEMBRE 2020
Mme J… B… a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 29 novembre 2019, qui, pour infractions au code de l’urbanisme l’a condamnée à 400 euros d’amende et a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme J… B… est propriétaire d’une parcelle de terrain cadastrée […] […] située à […] en zone NC agricole du plan d’occupation des sols.
3.Un procès-verbal d’infraction a été dressé le 19 décembre 2014 par un policier municipal , constatant la présence de quatre caravanes dont une sur une dalle en béton, d’une construction d’environ 5 à 10 m² en parpaings surmontée d’une toiture, d’une construction préfabriquée en bois d’environ 10 à 15 m², de deux autres caravanes sur la partie du terrain clôturée, de deux mobil home, d’un chalet en bois de 15 à 20 m²,ainsi que de nombreux autres ouvrages tels des murs de clôture, réverbères, murets et boîtes aux lettres.
4.Mme B… a été poursuivie pour avoir entre courant 2012 et le 19 décembre 2014 exécuté des travaux ou utilisé le sol en méconnaissance du plan d’occupation des sols et sans déclaration , et pour avoir stationné quatre caravanes pendant plus de trois mois consécutifs ou non sur une période d’un an, sans autorisation.
5. Le tribunal correctionnel de Nîmes a déclaré l’action publique prescrite pour l’une des constructions, a déclaré Mme B… coupable pour le surplus, l’a condamnée à 200 euros d’amende et a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte.
6.Mme B… et le ministère public ont formé appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8.Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré Mme B… coupable d’infraction aux dispositions du plan local d’urbanisme (PLU) ou du plan d’occupation des sols (POS), d’exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration préalable et d’installation irrégulière de caravane pendant plus de trois mois par an, de l’avoir condamnée à une amende de 400,00 euros et d’avoir ordonné la remise en état des lieux, dans un délai de six mois à compter du jour où l’arrêt serait définitif et, passé ce délai, sous une astreinte de 80,00 euros par jour de retard, alors « que l’exception prévue par l’article 398-1, 7° du code de procédure pénale qui autorise, exceptionnellement, la formation de jugement correctionnelle à statuer à juge unique ne concerne que « les délits prévus par le code forestier et par le code de l’urbanisme pour la protection des bois et forêts » ; qu’en l’espèce, en statuant à juge unique, tandis que les délits du chef desquels Mme B… était poursuivie n’étaient ni des délits prévus par le code forestier, ni des délits prévus par le code de l’urbanisme pour la protection des bois et forêts, la cour d’appel a violé l’article 398-1 du code de procédure pénale, précité, ensemble ses articles 398 et 510. »
Réponse de la Cour
9. Les dispositions de l’article 510, issues de la loi no2019-222 du 23 mars 2019, sont applicables à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur au 1er juin 2019, s’agissant de dispositions fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure.
10. Il en résulte que lorsque le jugement attaqué a été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l’article 398 ou selon celles prévues au troisième alinéa de l’article 464, la chambre des appels correctionnels est composée d’un seul de ces magistrats exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre, sauf si l’appelant demande expressément que l’affaire soit examinée par une formation collégiale.
11. L’article D. 45-23 du code de procédure pénale précise que le président de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel doit, en début d’audience, informer la partie appelante de son droit de demander le renvoi de l’affaire à une formation collégiale, lorsque celle-ci n’a pu en être informée dans le formulaire de la déclaration d’appel.
12. Cependant, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce qu’il n’a pas reçu cette information, dès lors qu’il était assisté de son avocat à l’audience du 20 novembre 2019.
13. Ainsi le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré Mme B… coupable d’infraction aux dispositions du plan local d’urbanisme (PLU) ou du plan d’occupation des sols (POS), d’exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration préalable, infractions commises courant janvier 2012 et jusqu’au 19 décembre 2014 à Bouillargues alors « que c’est au ministère public qu’il appartient d’établir que l’action publique n’est pas prescrite ; qu’en l’espèce, en se fondant sur la seule circonstance selon laquelle Mme B… ne fournissait aucun document de nature à établir la prescription de l’action publique s’agissant des murets, des murs de clôture et des réverbères pour juger que les infractions en lien avec l’établissement de ces éléments n’étaient pas prescrites et, partant, pour en déclarer coupable la prévenue, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles 8 et 593 du code de procédure pénale, précités. »
Réponse de la Cour
15. Pour écarter le moyen pris de la prescription tendant à faire constater que les murets, les réverbères et les clôtures existaient déjà lors de l’achat de la parcelle quinze ans auparavant, les juges constatent que la prévenue a été condamnée en 2010 pour la réalisation de constructions similaires sur la parcelle mitoyenne et qu’il ressort de l’examen du dossier que seule une construction d’une superficie de 5 à 10 m² a fait l’objet de cette verbalisation en 2009 sur la parcelle litigieuse.
16.En l’état de ces seules énonciations, d’où il résulte, que contrairement aux affirmations de la prévenue, les éléments litigieux n’existaient pas quinze ans auparavant , la cour d’appel a justifié sa décision.
17. Le moyen doit être écarté.
18. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit décembre deux mille vingt."
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